« Traits d’union, mémoire du corps »
Texte commandé par Skol pour Traits d’union, mémoire du corps, exposition et atelier de performance de François Morelli au Centre des arts actuels Skol, Montréal.
2018
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Nous sommes arrivés avec du sucre, des ficelles, des cabanes à oiseaux, des boules de styromousse. Quelque chose à manger, quelque chose qui se noue, quelque chose pour abriter le vivant, quelque chose fait de matières transformées.
Nous nous retrouvons avec tout ça dans un espace : celui d’une galerie, d’une classe, ou d’un territoire. Nous savons que nous sommes là pour apprendre, pour nous faire enseigner des connaissances, des savoir-faire. Il y aura probablement quelque chose à construire, il y aura nécessairement quelque chose à vivre.
Venus de directions différentes, nous pouvons être quelques-uns seulement, ou nous rassembler à plusieurs. Nous y reviendrons seul aussi, c’est parfois essentiel.
Avant tout, nous prenons le temps de nous parler, d’échanger des idées, de nous donner des consignes, des libertés aussi. C’est quand nous nous mettons à l’œuvre que nous voyons bien vite que nous faisons tous les choses à notre façon – par la répétition de gestes qui nous ressemblent, par l’emprunt de sentiers qui nous sont familiers. Même quand nous avons pris des décisions ensemble et même si nous visons un objectif commun, nous réalisons que nous lui donnons chacun une forme distincte. Que les idées elles-mêmes, lorsqu’on leur donne l’occasion d’exister, se transforment et nous transforment nous aussi.
Nous lâcherons alors prise de nos préconceptions, mettrons de côté ce que nous connaissons trop bien, et laisserons place à l’errance, à l’expérimentation, à l’inattendu. Nos gestes seront maladroits, nos repères à réinventer. Il y a des moments où nous serons surpris, brusqués, ou vulnérables. Où nous jugerons et serons jugé. Nous observerons la façon de faire des autres et prendrons conscience que c’est aussi nous qui faisons autrement. Nous apprendrons à nous connaître, en constatant que nous ne pensons pas de la même manière, que nous ne voyons pas les mêmes détails, que nous n’avons pas les mêmes traits. Nous comprendrons finalement qu’ensemble, nous pouvons mettre en œuvre ce que personne n’aurait pu imaginer pouvoir créer seul.
C’est ainsi que le sucre se transformera en sable, que les ficelles nous permettront de dessiner des formes, que les cabanes à oiseaux deviendront des témoins sur nos parcours, que nous verrons des flocons de neige dans les boules de styromousse. Et que nous deviendrons amis.
Au-delà de ce que nous pouvons créer, il y a ce qui se crée. Au-delà d’une œuvre qui pourrait ou non se matérialiser, il y a aussi les traces que la création laisse sur nous et autour de nous. Pour que les savoir-faire mènent aussi à des savoir-être, il ne suffit pas d’apprendre à construire quelque chose qu’on nommerait art ou œuvre, il faut aussi apprendre à être artiste. L’artiste comme rôle à jouer dans une communauté, comme personne à être dans le monde. L’espace de la création, c’est donc aussi celui de l’apprentissage, de l’ouverture et de la relation. Et cet espace nous suit partout où nous allons.