“La petite boite rouge”
Postface of Vie(s) by Hayat Najm
2011
In French only
H possède une petite boîte rouge, qui ne contient que des objets en noir et blanc, décolorés avec le temps, devenus presque invisibles. Elle les conserve car ils demeurent les indices d’instants passés, conservés dans l’espoir de limiter les dommages causés par une mémoire fissurée, incomplète. H conserve l’objet comme elle préserve le souvenir qui y est rattaché; l’un ne va pas sans l’autre. Chaque fois qu’elle dépose un nouvel objet, elle le fait lentement, le temps de bien comprendre ce qui lui est rattaché, une singularité tirée d’une durée aussi circonscrite. Dans chaque histoire il n’y a pas d’avant ni d’après; chaque instant existe indépendamment du reste du temps. Il y a de ces moments qui sont à la fois tout à fait ordinaires et étonnamment uniques.
H invente ses propres catégories. Dans sa petite boîte, l’orange côtoie les bracelets dorés, la plume de paon est déposée sur la grande robe blanche, et la figurine de l’éléphant se trouve près du petit bouton égaré. La fonction utilitaire de chaque objet n’importe plus. Chacun n’existe plus que pour elle et pour ses histoires. Si elle dit parler de l’amour, de l’attente, de la guerre et de la maladie, elle ne peut classer sa vie ainsi. C’est que parfois l’attente se mêle à la maladie, l’amour à l’attente, la guerre à l’amour, et la guerre à la maladie. Il n’y a pas de simple définition.
Souvent seule, elle contemple ou regrette le temps qui passe, elle scrute les moments extraordinaires ou les banalités. Ceux qui entrent dans ses histoires ne sont que de passage, pour temporairement déranger son calme en perçant la bulle qui l’enveloppe. Puis déjà ils partent, pour ne revenir que rarement. C’est toutefois dans ses moments de solitude que l’on peut se rapprocher, que son espace se laisse envahir. Comme la distance qui existe entre les deux terres qui partagent sa présence, il en existe une entre elle et ceux qui écoutent ses histoires. S’il s’agit d’une distance réelle, elle est aussi abstraite, car on se sent toujours plus près qu’on ne l’est vraiment.
C’est toujours dans une lenteur discrète que ses anecdotes sont tracées. Elles sont intimes, mais jamais hermétiques. Les vides qu’elle laisse au passage invitent à l’imagination, à l’entrée de nouveaux personnages dans les grands espaces blancs. Ses inimitables histoires, elles s’échappent, se dissipent, pour exister hors d’elle. H les désire à la fois récit d’elle et d’étrangers; c’est parce qu’il n’y a pas qu’elle qui calcule le temps, qui aime et qui a peur. Le contenu de la petite boîte rouge, ce sont des fragments de vie(s) inachevés. H les collecte pour se rappeler, pour les raconter, et pour mieux les laisser vivre ensuite.