L’odeur de l’orangé
2010-2011
J’aurais dû écrire cette histoire qu’on m’a racontée il y a quelques mois déjà. Je l’ai presque oubliée et je devrais essayer de la transcrire aujourd’hui. Elle n’est déjà plus la même. Elle est encore plus la mienne qu’elle ne l’était quand on me l’a offerte. Au départ elle ne me concernait pas, mais on m’avait dit que je pouvais en faire ce que je voulais. On me la confiait. Je l’ai depuis gardée tout près, dans ma tête, mais je ne l’ai pas écrite.
Pour l’occasion on m’avait invitée à prendre une marche, au bord de l’eau. Parce qu’il y a de l’eau tout autour de notre île et que nous n’y allons jamais. Nous y croyons, qu’elle est là, même si nous ne la voyons pas.
On s’était arrêté une première fois, pour voir où on s’en allait. On avait rencontré un homme et son chien, un chien et son homme. On ne leur avait rien dit. Ils ne nous avaient rien dit. Ils ne nous avaient même pas regardé, comme si on n’existait pas. Il faisait soleil mais c’était l’hiver. La neige était épaisse et mouillée. Nos pas étaient creux. On réutilisait ceux qui existaient déjà. On se suivait au lieu de marcher côte à côte. On se parlait quand même, sans se voir, sans se regarder plutôt.
On s’était arrêté une deuxième fois. Il y avait des pelures d’orange au sol. Les quartiers d’orange étaient quelques mètres plus loin. Pourquoi éplucher une orange si ce n’est pas pour la manger? Les branches des arbres étaient les plus jaunes que je n’avais jamais vues. Je ne pensais même pas que ça puisse être possible. Peut-être l’ai-je imaginé? Il faudrait que je retourne pour voir, et peut-être que je ne verrais rien du tout. Le sentier était de plus en plus étroit, difficile. On avait tenté de marcher sur la glace, mais elle était trop mince. On l’avait entendu craquer, et on avait eu peur, alors on s’était sauvé, et on avait repris le sentier.
On s’était arrêté une troisième fois, pour regarder les arbres, comme si on pouvait mieux les voir en s’arrêtant. Le sentier s’était mis à monter, et on avait été bloqué. Ce fut notre quatrième arrêt. On n’avait pas trouvé ce qu’on cherchait. Des hommes au loin taillaient la glace. Ils n’étaient que des petites silhouettes noires, que nous regardions bouger. On les entendait plus qu’on ne pouvait les voir.
Ses pieds avaient pris l’eau. Nous avions décidé de rebrousser chemin. Au retour on ne s’était pas arrêté du tout. Nous avions peu dit. Nous avions bifurqué vers la ville, plus bruyante qu’auparavant.
J’ai décidé que je garderais son histoire pour moi.
Une action furtive dans le cadre du projet Gosser le furtif de l'artiste et commissaire karen elaine spencer, en continu pendant la programmation 2010-2011 du Centre des arts actuels Skol.
2010-2011
J’aurais dû écrire cette histoire qu’on m’a racontée il y a quelques mois déjà. Je l’ai presque oubliée et je devrais essayer de la transcrire aujourd’hui. Elle n’est déjà plus la même. Elle est encore plus la mienne qu’elle ne l’était quand on me l’a offerte. Au départ elle ne me concernait pas, mais on m’avait dit que je pouvais en faire ce que je voulais. On me la confiait. Je l’ai depuis gardée tout près, dans ma tête, mais je ne l’ai pas écrite.
Pour l’occasion on m’avait invitée à prendre une marche, au bord de l’eau. Parce qu’il y a de l’eau tout autour de notre île et que nous n’y allons jamais. Nous y croyons, qu’elle est là, même si nous ne la voyons pas.
On s’était arrêté une première fois, pour voir où on s’en allait. On avait rencontré un homme et son chien, un chien et son homme. On ne leur avait rien dit. Ils ne nous avaient rien dit. Ils ne nous avaient même pas regardé, comme si on n’existait pas. Il faisait soleil mais c’était l’hiver. La neige était épaisse et mouillée. Nos pas étaient creux. On réutilisait ceux qui existaient déjà. On se suivait au lieu de marcher côte à côte. On se parlait quand même, sans se voir, sans se regarder plutôt.
On s’était arrêté une deuxième fois. Il y avait des pelures d’orange au sol. Les quartiers d’orange étaient quelques mètres plus loin. Pourquoi éplucher une orange si ce n’est pas pour la manger? Les branches des arbres étaient les plus jaunes que je n’avais jamais vues. Je ne pensais même pas que ça puisse être possible. Peut-être l’ai-je imaginé? Il faudrait que je retourne pour voir, et peut-être que je ne verrais rien du tout. Le sentier était de plus en plus étroit, difficile. On avait tenté de marcher sur la glace, mais elle était trop mince. On l’avait entendu craquer, et on avait eu peur, alors on s’était sauvé, et on avait repris le sentier.
On s’était arrêté une troisième fois, pour regarder les arbres, comme si on pouvait mieux les voir en s’arrêtant. Le sentier s’était mis à monter, et on avait été bloqué. Ce fut notre quatrième arrêt. On n’avait pas trouvé ce qu’on cherchait. Des hommes au loin taillaient la glace. Ils n’étaient que des petites silhouettes noires, que nous regardions bouger. On les entendait plus qu’on ne pouvait les voir.
Ses pieds avaient pris l’eau. Nous avions décidé de rebrousser chemin. Au retour on ne s’était pas arrêté du tout. Nous avions peu dit. Nous avions bifurqué vers la ville, plus bruyante qu’auparavant.
J’ai décidé que je garderais son histoire pour moi.
Une action furtive dans le cadre du projet Gosser le furtif de l'artiste et commissaire karen elaine spencer, en continu pendant la programmation 2010-2011 du Centre des arts actuels Skol.